Combattre par la photographie, Zakaria Abdelkafi

Zakaria, figure de la lutte par l’image

A 30 ans, Zakaria Abdelkafi est passé sous les feux des projecteurs internationaux. Il y a quelques semaines, sa photographie « la Torche humaine » a fait le tour du monde. Originaire de Syrie et exilé depuis deux ans en France, il témoigne de sa vie d’avant, entre désespoir et destruction.

Père d’une petite fille de 6 ans et d’un garçon de 3 ans, Zakaria a un parcours aussi atypique que bouleversent.
Fils d’un anarchiste révolu, il a eu comme beaucoup, une éducation prônant la censure comme moyen de protection, « ne rien dire qui pourrait offenser le régime ». Mais en 2011, alors que le souffle révolutionnaire du Printemps Arabe atteint la Syrie, « la jeunesse décide de ne plus écouter les parents ». Le jeune homme, jusqu’alors informaticien se mêle aux révolutionnaires pour défendre sa liberté.

Des migrations internes ont lieu entre 2011 et 2012. Pour fuir les bombardements et les emprisonnements sans raisons légales, les syriens rejoignent Alep, l’une des dernières villes où il ne pleut pas encore des bombes.
Zakaria, avec sa femme, ses deux enfants et son père, quittent leur ville, quittent leur vie pour rejoindre Alep. Ceux qui décident de rester pour lutter se voient poser un ultimatum par le régime, combattre avec la police pour le pays mais contre ses habitants ou mourir, un choix qui ne finit pas de diviser la population contrôlé par la peur. La Syrie se voit envahit de toute part « par Daesh, le PKK, Al-Qaïda et le régime de Bachar Al Assad. On avait un dictateur, maintenant on en a plusieurs ».

L’État Islamique grimpe en puissance.
Alors que la population est au bord de précipice, souvent sans maison, dépourvu d’argent et loin de leur famille, Daesh profite de la vulnérabilité physique et psychologique pour enrôler « Ils arrivaient avec leurs voitures, leurs armes, leurs femmes, nous promettent monts et merveilles, et nous, on avait plus rien ». Daesh « c’est un cocktail. Un mélange avec des Libyens, des Algériens, des Syriens et des Européens prit dans leur filet » décrit le photographe.

Rapidement, c’est la descente aux enfers. Coincés à Alep entre la police et les groupes armées, la population est réprimée à balles réelles. Les journalistes et les photographes sont les premières cibles « En Syrie, la police n’a pas but de protéger la population ». Zakaria se sent alors le devoir de prendre des photos sous le régime opprimé. Montrer la vérité est devenu son combat. Par ses images, il veut raconter ce qu’il se passe, sans faux semblant, sans mensonges. Il veut faire entendre la voix de son peuple meurtrie, montrer le crime de masse.

Sur les champs de ruine, il prend en photo les femmes, les hommes, les enfants, les victimes, mais aussi la détresse, les décombres, le découragement et les désillusions qui touchent la Syrie. Ses photos émeuvent à travers le monde et aident à la prise de conscience du massacre qui a lieu. L’oeil derrière l’objectif, le monde semble s’écrouler autour de lui. Seul la capture des moments compte. « Quand je pratique mon métier, je ne pense pas au danger, je pense à rien d’autre qu’à la photo que je vais prendre ».
Son militantisme héroïque à Alep prend fin en septembre 2015.
Miraculeusement sauvé après qu’une balle de sniper de la milice pro-Bachar ait transpercé son oeil droit lors d’une manifestation, le jeune homme est transporté dans un hôpital en Turquie avant d’être rapatrié en France.
A la suite de cette épreuve qui aurait pu lui couter la vie, Zakaria avoue sans prétention « Je n’ai pas peur de Bachar, je n’ai pas peur des policiers, le seul que je redoute, c’est mon Créateur ». Perdre son œil ne l’a pour autant pas arrêté, « Je n’ai pas besoin de deux yeux pour prendre des photos. »

Le photographe a du affronté la douleur de la perte, comme la plupart des syriens. Son frère à été enfermé par le régime sans motifs apparents, sans aucunes nouvelles et sans indications du lieu de détention, « Je ne sais même pas s’il est encore vivant ».

« Pourquoi certains pays peuvent tout avoir, alors que d’autres non ? » me demande Zakaria, d’une voix calme tranchant avec l’énergie électrique créée par les récits.
Aujourd’hui installé à Paris, Zakaria est cameraman pour New TR France, chaîne qui diffuse en direct l’actualité française vers les pays du Moyen-Orient et photographe pigiste à l’Agence France Presse (AFP). En attendant l’arrivée de sa famille, toujours coincée en Turquie, il milite à sa façon, en parlant autour de lui et aux médias de ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, en parlant de la réalité de son pays, ou plutôt, ce qu’il en reste.

« Sans ma blessure, je n’aurais pas fuit mon pays, j’y serais resté pour combattre par les images, parce que rien n’est insurmontable » marquera la fin de notre discussion.

Merci à Yasmine Chalek et Muaoya Hamoud pour la traduction.